Mayer Marcel+, infirmier retraité

 

Interventions :

Lors du Wiederaufbau en 1941 (reconstruction du village de Farébersviller) les mineurs, faute d’emploi aux houillères, ont été occupés à bâtir des maisons, retaper et consolider beaucoup d’autres, détruites le 12 mai 1940  lors de l’opération Fackel. Il fallait bien utiliser les gueules noires là où le besoin immédiat se faisait sentir. Parallèlement, on remettait progressivement en exploitation les puits de mine noyés.

J’ai soigné quelques mineurs-maçons, présentant des blessures somme toute bénignes, mais sérieuses, lors d’une explosion à Petite-Rosselle où quelque 20 mineurs furent brûlés.

L’aspirine restait la panacée miracle et bonne à tout faire, remède universel supposé soulager maux physiques et moraux.

 

Interrogatoire par la Gestapo :

Un père de famille de Nousseviller arriva tout affolé à l’hôpital. Le fils qu’il cachait avait sa vessie bloquée. La rétention d’urine nécessitait de ma part un sondage. Je partis le soigner et lui recommandais des compresses d’eau chaude pour décongestionner l’appareil urinaire. «S’il y avait des complications, eh bien, je reviendrais ».

Tout apparemment avait dû bien se passer car je n’entendis plus parler de ce jeune. Mais un beau matin, je fus convoqué au siège de la Gestapo à Merlebach. Sur un ton menaçant, l’un des agents me dit que j’avais aidé un ennemi du Reich. « Impossible, répondis-je avec culot, je suis de permanence à l’hôpital jour et nuit.  Etant d’astreinte, je ne puis quitter sans motif valable l’établissement.

- On vous a vu formellement !

- C’est impossible, repris-je sans laisser percevoir mon inquiétude. D’ailleurs appelez mon patron le docteur Sising ».

Ce jour-là, croyez-moi, le brave docteur allemand m’a sauvé d’une arrestation certaine, affirmant haut et fort que j’étais sans arrêt à l’hôpital. Sur ce, on me relâcha.  Le docteur Sising qui n’était pas un fervent adepte des nazis, était très humain. Lors du départ des Allemands début décembre 1944, on l’emmena sans ménagements soigner les blessés en Sarre. Les sœurs-infirmières firent déménager ses meubles personnels en lieu sûr à l’hôpital où il put les récupérer après guerre.

 

Mi-novembre 1944 :

Le personnel du bloc opératoire fut réquisitionné pour opérer d’affilée, avec les docteurs de la Wehrmacht, les blessés arrivant en masse des alentours de l’agglomération messine. (Les forts de Metz tenus par les Allemands entravaient la progression U.S.).

Chaque équipe travaillait dans deux salles séparées. Le spectacle de tous ces pauvres estropiés, mutilés par les obus ou mitraillés, vous retournait le cœur. Des gémissements et des hurlements montaient des couloirs.

Des blessés gisaient là, sans jambes, manchots ou éviscérés. Les ambulances récupéraient les opérés et filaient vers la Sarre. Beaucoup de ces malheureux mouraient près de la salle d’opérations. De pauvres diables agonisaient dans des souffrances inqualifiables. Nous étions submergés d’interventions chirurgicales.

Moi-même, je me blessais bien involontairement en glissant dans les flaques gluantes de sang et de chair. Je me fis une entorse carabinée qui se réveilla l’année dernière (1993) lorsque je chutais à nouveau sur une dalle de jardin.  Mon nerf traumatisé à l’époque claqua pour de bon à cette occasion.

J’ai pris part personnellement à l’opération chirurgicale exécutée par le professeur Sising sur le blessé Gilbert Bigel. Il avait été victime d’une attaque aérienne et une balle de 12,7 d’avion lui avait causé une vaste plaie à l’épaule droite, en l’occurrence un gros trou sous l’omoplate. La cuisse gauche présentait également quelques blessures profondes. J’ai d’abord procédé à un nettoyage de fond de la déchirure atroce. Eclats, herbes, pierres en furent éliminés. Puis, on le recousit en espérant toutefois qu’aucune lésion thoracique interne n’aggravât son cas. Vu la situation de détresse et de pénurie, nous ne pûmes pas faire à Gilbert une radio circonstanciée. Sa rotule fissurée fut cerclée avec succès.

Les Allemands partirent début décembre. Les Américains stationnaient près de Saint-Avold. Il y eut 15 jours de complète absence de soldats des deux camps. Nous étions entre les deux feux. Un obus pulvérisa notre salle d’opérations. Le docteur Namur venait de temps en temps s’enquérir de l’état des grands blessés que nous avions installés dans les caves de l’hôpital.

Les Américains étaient accaparés par la bataille des Ardennes et ce n’est que le 19 décembre qu’une patrouille (un lieutenant français et dix hommes) nous rendit visite, suivie le lendemain d’une ambulance dans laquelle avaient pris place un docteur et deux brancardiers.

Les Américains étaient enfin revenus trois jours avant Noël et voulaient emmener les blessés les plus grièvement atteints vers les hôpitaux de la région messine. Je craignais le transfert du jeune Bigel vers un de leurs hôpitaux. J’avais promis à sa mère Cécile de faire tout mon possible pour le rapatrier sur Farébersviller.

Comment faire ? En baragouinant un américain de fortune, j’arrivais à convaincre l’ambulancier de l’emmener chez ses parents en lui faisant miroiter du schnaps qui a dû l’émoustiller. «Yes, yes, good ». Il me fit comprendre qu’à « five o’clock », il serait prêt.

 

Nous fûmes arrêtés par la Military Police entre Seingbouse et Farébersviller. Je ne comprenais pas grand-chose, mais le chauffeur sut se montrer persuasif et on nous laissa filer. De temps en temps, je passais en vélo prodiguer quelques soins. Le jeune blessé, du fait de cette lésion caractéristique, avait du mal à se remettre. Cependant, grâce à son grand courage, Gilbert, entouré de l’affection de ses parents, reprit progressivement le dessus.